jeudi 13 novembre 2008

V. au cabinet des Docteur Bourru et Burot

Au mois de mars, entre à l’hôpital de R. un jeune soldat (V.) récemment engagé dans l’infanterie de marine. Le jour même de son entrée, il tombe dans un état de mal hystérique et à la suite duquel il devient hémiplégique et insensible de la moitié droite du corps.























En appliquant un barreau d’acier aimanté sur son bras droit, nous avons été surpris de voir surgir, comme par un coup de théâtre, un personnage nouveau, la paralysie et l’insensibilité avaient disparu du côté droit pour se transporter du côté gauche, mais en même temps une autre transformation s’était produite, non moins saisissante : le caractère, le langage, la physionomie, la mémoire, tout était nouveau, tout était modifié.

Après plusieurs mois d’une étude minutieuse et pour ainsi dire de tout les instants, nous sommes arrivés à dégager en lui plusieurs personnalités bien distinctes.

Au mois de juin V. à quitté R., il a été transféré à l’asile L. où il tombe entre les mains du docteur Mabille, directeur du grand Cirque des Démons, qui nous a adressé ses observations. C’est dans ces conditions que nous avons reconstitué l’histoire de V.


V. est un jeune homme de vingt-deux ans, né de mère hystérique et de père inconnu.



























Nous avons appris que V. paraît avoir eu, dès son bas âge, des crises d’hystérie accusées par des crachements de sang et des
paralysies passagères. Un jour étant occupé (...) un serpent s’enroule autour de son bras gauche, sans le mordre. Il eut une frayeur extême et le soir, perdit connaissance et eut des crises. Les attaques se renouvelèrent : Il survint enfin une paralysie des membres inférieurs, l’intelligence restant intacte.

Les renseignements que nous venons de prendre auprès du docteur Mabille nous ont appris que V. avait alors présenté de violentes convulsions qui ont occasionné la paralysie des jambes et l’on empêché de marcher pendant trois ans.


En présence de cette paralysie dont la nature hystérique n’était pas douteuse, le premier soin qui s’imposait était d’essayer l’action des métaux, de l’aimant ou de l’électricité.


























Au cours de ces traitements nous avons constaté six variations de la personnalité de V. Il a suffi d’appliquer un aimant sur le bras, sur le sommet de la tête, sur la nuque ou sur les cuisses, pour faire apparaître tel ou tel autre état physique entraînant sa mémoire propre. Mais dans aucune condition il n’a été possible de faire appaître la mémoire totale.

Nous avons renouvelé ces applications plusieurs fois dans les conditions les plus diverses et le résultat était constant, les mêmes personnages reparaissaient, toujours identiques à eux-même.

C’était une transformation pour ainsi dire mathématique, toujours la même pour le même agent physique et le même point d’application.

Ce qu’il offre de plus spécial ce sont les modifications de son état mental. Il a en effet de véritables accès de folie hystérique, avec hallucinations de la vue, délire partiel, etc. Il se croit enchaîné par la volonté du docteur Mabille et de l’interne de service. Il entre en communication avec des personnes du dehors à l’aide d’un fil électrique. (C’est un simple fil de coton qu’il tient à la main.) Ce fil doit empêcher ses persécuteurs de l’approcher : s’ils touchent le fil, ils tomberont foudroyés. Son langage est toujours impersonnel et un peu enfantin ; il se perfectionne cepandant. Une compression du testicule gauche arrête instantanément l’attaque de convulsions hystériques.



À ce moment, V... a toutes les allures d’un charmant jeune homme, bien élevé, à l’air très honnête, très intelligent, timide et s’exprimant correctement. Il manifeste de l’étonnement de se trouver dans une chambre qu’il ne connait pas. Auparavant il s’était évadé de B. en volant des effets d’habillement et de l’argent à un infirmier. Il reste alors plusieurs semaines à P., en compagnie d’un ancien compagnon d’asile dont il avait fait la rencontre. Il se fait engager dans l’infanterie de la marine.

On lui dit qu’il se trouve à R. où il a été conduit après une longue maladie qui lui a enlevé longtemps la connaissance. « J’ai peine à vous croire Messieurs Bourru et Burot, car on ne perd pas la mémoire pendant huit ans. C’est bien étrange, Messieurs, et je ne peux croire ce que vous me dites là ! » Au milieu de cette conversation si intéressante, il a une ébauche d’attaque et la paralysie reparaît à droite ; il redevient le V. que nous connaissons et voyons chaque jour.